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TIME DOLLAR

samedi 16 août 2003

USA :
Repenser la fonction du dollar à partir de la valeur du temps

TIME DOLLARS aux USA (Traduit de l’américain par Zoé Bresson)

Jonathan Rowe


Pourquoi nos villes sont elles riches ?
Analyse

La mission première d’une Economie est de mettre en relation les besoins et les ressources, mais il semblerait que l’économie ait lamentablement failli à son rôle concernant les quartiers à problèmes.
Actuellement, de nombreuses ressources humaines, correspondant pourtant à de réels besoins, sont inexploitées dans toutes les zones urbaines de la nation, y compris les plus pauvres. Le système affirme ne pas avoir besoin des personnes âgées, jeunes, sans emploi et considérées comme handicapées. Pourtant, avec eux coexistent des gens ayant un grand besoin de ce temps, cette énergie, et ces capacités inutilisés. Il y a de l’eau…partout, pourtant ce que nous appelons « l’économie » est incapable de trouver une solution pour transférer cette eau de la coupe aux lèvres.
Le marché ignore les besoins humains lorsqu’ils ne sont pas synonymes d’argent. Comme l’a affirmé le professeur Milton Friedman, le mot « besoin », en tout cas, n’a pas sa place dans l’économie, sa conception de l’économie en tout cas. C’est pourquoi, dans ce monde d’abondance, il est si difficile de combattre la pauvreté, tant notre système d’appartenance économique ne lui accorde aucune place.
Le gouvernement reconnaît pourtant le besoin, mais pas les capacités au niveau local pour assouvir ces besoins qui existent tout près. Les villes ont besoin des solutions que leur propose la gauche mais aussi la droite. Ils ont besoin de services sociaux mais aussi de commerces. C’est incontestable. Mais les villes ont également besoin de quelque chose de plus élémentaire ; une façon de développer leurs propres ressources humaines internes, pour répondre aux besoins humains. Elles ont besoin d’une communauté au sens propre du terme ; de réseaux sociaux indépendants dans lesquels les capacités et les talents des individus sont plus que la somme des qualités de chacun.
La communauté est l’élément manquant à nos efforts pour soutenir nos villes. Le gouvernement ne peut y arriver seul, et le marché ne veut pas. Pourtant une communauté véritable est la condition sine qua non à la prospérité des deux.
Analysons ce qui pourrait se passer si l’on commençait à reconnaître les capacités humaines inexploitées de nos villes.
A Brooklyn, les membres d’une organisation de soins de santé intégrés pour personnes âgées, appelée Elderplan, prennent soin les uns des autres. Ils font des courses, se véhiculent, réparent les robinets et les fenêtres cassées, rendent visite aux personnes isolées, offrent une oreille attentive dans des moments de deuil et de perte. Même les personnes considérées comme handicapées peuvent « rendre des visites » par téléphone à des personnes se trouvant dans des situations plus graves. Les fardeaux des systèmes de soin médicaux publics et privés sont considérés comme actifs à Elderplan.
En conséquence, l’organisation propose des services plus nombreux pour des sommes moindres, et elle permet à ses membres de ne pas entrer en maisons de soins. Les membres restent en bonne santé grâce à leur implication active pour soutenir les autres.
Ce journal expose d’autres programmes reposant sur le principe du « dollar-temps ». Dans tous les cas, des personnes considérées comme inutiles, comme des fardeaux dans la société deviennent indispensables à quelqu’un. Le marché ignore ces personnes, le gouvernement les remercie d’avoir des problèmes, et cette economie recense leurs capacités pour le bien de la communauté.
Ce ne sont pas de simples programmes de bénévolat. Ils symbolisent l’émergence d’une nouvelle économie, qui fonctionne grâce à son propre système de monnaie. Cette monnaie, appelée « dollar-temps », n’est pas sans rappeler les banques à mémoire partagée qui existaient auparavant dans les petites villes et dans les environs des quartiers défavorisés, dans lesquels les dons étaient "gardés en mémoire" et rendus en nature.
Pour chaque heure de travail, on obtient un crédit dans une banque informatisée, que l’on peut utiliser lorsqu’on a besoin d’aide à notre tour. Une heure rapporte un crédit, que l’on travaille dans un tribunal pour mineurs ou comme bénévole dans une école.
Les participants à de nombreux programmes peuvent utiliser leurs crédits pour acheter des marchandises, dans des boutiques locales ou dans des magasins spéciaux fonctionnant sur le principe du « dollar-temps ». A Chicago et Washington DC, les jeunes peuvent, grâce à leurs crédits récupérer des ordinateurs donnés par les entreprises locales et les agences gouvernementales.
Il y a des décennies que le débat politique ne s’intéresse qu’à la somme d’argent que nous dépensons. Nos capacités se sont toujours limitées au nombre de dollars en circulation à un moment en particulier, et au nombre de dollars que le gouvernement ou le marché se résigne à consacrer aux quartiers défavorisés de nos villes.
Mais il ne faut pas supplier ni mendier auprès des dieux de l’argent. N’attendons pas qu’Alan Greenspan nous dise le nombre de dollars qu’il y aura, et en conséquence, les opportunités qui s’offriront à nous. Notre capacité d’échanger ce que nous avons contre ce dont nous avons besoin est un droit fondamental de l’homme, et nous devons déployer nos moyens afin de le mettre à profit. Cela implique de poser une question qui dépasse le large champ d’action des principaux partis et des politiques qu’ils impliquent. Nous devons parler du système de monnaie que nous utilisons, et pas seulement de combien d’argent nous avons besoin. Cela implique de considérer les personnes vivant dans des quartiers défavorisés comme des atouts dans ce pays, et pas seulement comme des consommateurs ou des fardeaux de la société. Nous devons construire quelque chose en fonction de ce que peuvent faire les individus, et leur fournir les moyens d’y arriver, plutôt que de les traiter comme des personnes dépendantes et sans espoir, ou comme des voyous que l’on ne peut qu’anéantir.
Les personnes âgées doivent être considérées comme détenant l’expérience et la paix, non comme des fardeaux de la médecine qui doivent coûter le moins d’argent possible
Considérons ce que peuvent nous apporter les personnes handicapées, pas seulement ce dont elles ont besoin.
Les jeunes contribuent à l’avenir de leurs communautés, ce ne sont plus de simples consommateurs encouragés par la publicité dont leur vie est imprégnée.
Si nous acceptons cela, nos villes seront plus riches, et nous le serons tous. Les entreprises pourront investir dans des endroits où les capacités humaines ont été activées, où les structures sociales revivent. Mais par-dessus tout, nous aurons construit quelque chose qui mérite vraiment le nom de communauté.

Jonhatan Rowe est directeur de l’institut Tomales Bay en Californie.