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Lebensgarten 2000 : compte rendu d’atelier
samedi 16 août 2003
L’argent du Millenium
et l’Abondance durable
Millenium Money - Sustainable Abundance
de Hildur Jackson au sujet de Bernard Lietaer
traduction de Chantal de Coorebyter
Ce document est extrait du bulletin du Global Ecovillage Network
Bernard Lietaer, ancien Directeur de la Banque Centrale de Belgique et père de l’Euro, professeur d’économie et co-createur de la stratégie de Gaia Trust, parle de la possibilité de créer un nouveau système économique basé sur quelque chose d’aussi contradictoire que "l’Abondance soutenable". Lietaer a publié récemment deux livres qui étudient la monnaie et un nouveau système monétaire, The Mystery of Money" et " The Future of Money". Ces livres ont d’abord été publiés en allemand grâce aux efforts et à l’enthousiasme de Margrit Kennedy de Lebensgarten mais paraîtront bientôt en anglais. En août 1999, Bernard a animé un séminaire de 50 personnes à Lebensgarten, où il a développé ses idées novatrices et au cours duquel il a proposé des méthodes, pour que le système monétaire devienne le support de nos valeurs et de notre structure sociale.
La suite est le résumé d’un très vaste exposé à la frontière du culturel, de l’anthropologie, de la psychologie des profondeurs et de l’économie, dans lequel vous oubliez complètement qu’ il est en train de parler d’argent.
Le Mystère de la Monnaie
Le Mystère de la Monnaie est un essai de démystification de la monnaie en
retournant à l’origine de sa création par l’homme. Il explique que nous sommes les
seuls à pouvoir la changer pour l’adapter à nos valeurs et l’utiliser comme support à
la création d’un style de vie soutenable basé sur l’amour.
Bernard Lietaer definit la monnaie comme résultant d’un consensus conscient de la communauté qui se donne un moyen d’échange. La monnaie peut se matérialiser par des coquillages, des pierres (comme dans le Ladakh), des pièces de métal, des pièces de monnaie ou du papier cacheté. La monnaie semble être devenue un tabou (comme le sexe et la mort) et doit être démystifiée pour que nous puissions agir et récupérer notre droit inhérent à la changer, pour qu’elle devienne un support pour le type de société que nous voulons
Il cherche l’origine du tabou émotionnel de la monnaie dans l’inconscient collectif et dans la suppression de l’archétype de la ’Grande Mère’ en le suivant à travers l’histoire. La suppression du féminin est liée au système économique actuel. Il existe deux sortes de monnaies :
Mahatma Gandhi : "Le monde a assez pour les besoins de chacun mais pas pour le désir de posséder de chacun"
Les monnaies Yang dont l’émission est basée sur la hiérarchie. Elles mènent à la centralisation, l’accumulation par un petit nombre qui investissent dans des biens à court terme. Ces monnaies sont rares et créent la compétition. Toutes les monnaies nationales conventionnelles sont Yang parce qu’elles présentent ces caractéristiques.
Les monnaies Yin sont égalitaires et découragent l’accumulation tout en encourageant la coopération entre les
utilisateurs. Elles mènent à la décentralisation (elles sont un support local), elles sont toujours disponibles en quantité( en tant que simple mémoire « qualifiante et /ou quantifiante » d’un échange) et créent des investissements en biens à long terme. Les économies Yin ont toujours existé typiquement sous forme d’économie de dons. Les échanges de cadeaux sont un des moyens de construction d’une communauté.
Bernard affirme qu’un équilibre entre des économies Yin et Yang est indispensable pour qu’une société soutenable puisse exister. C’est pour cette raison qu’il appelle les monnaies Yin des "monnaies complémentaires" à l’économie Yang existante. Il argumente avec conviction que nous avons connu des périodes où l’archétype de la mère n’était pas réprimé et ou les monnaies Yin étaient prévalantes, ce qui créait généralement une richesse soutenable.
Il donne comme exemple l’histoire du Moyen Age avec la construction des églises et cathédrales en Europe ( des Notre -Dame pour la plupart) Il considère le culte très répandu à l’époque de la vierge noire comme un exemple de la manière dont le féminin était apprécié comme modèle de relation à la terre.
A notre époque, la croissance des SEL, LETS, banques du temps et autres réseaux d’échanges est vue par Bernard comme l’expression du retour à la conscience de l’archétype féminin ; un autre signe est l’apparition des ’Creatifs Culturels’* nouvelle catégorie sociale (ou sociostyle ?) identifiée dans une étude de Paul Ray. Bien que cela soit un phénomène global, il n’existe que des données américaines sur cette très nouvelle force d’entraînement. Les créatifs culturels sont dispersés géographiquement à travers tous les Etats-Unis. Ils font partie de la classe moyenne et supérieure. Ils ont un âge moyen de 42 ans et comptent plus d’universitaires que d’autres sous-cultures. Il y a 50% de femmes de plus que d’hommes dans ce groupe. Sur un plan individuel, leur souci principal est l’actualisation personnelle. L’étude estime que ce groupe correspond à 26% de la population mais qu’ils ne sont pas vraiment reconnus car ils n’ont pas de journal, de parti politique ou d’organisation pour les rendre visible et canaliser leurs idées.
Au niveau collectif, l’un de leur souci principal est la détérioration de la communauté et de l’environnement (92% désirent reconstruire la communauté, 87% croient dans la soutenabilité de l’écologie). Ils sont plus altruistes que d’autres groupes et sont prêts à faire des sacrifices personnels. Ils ne croient pas que le succès soit le plus important (70%) mais donnent priorité au temps de création. Ce qui est surprenant, c’est qu’ils sont apparus en moins d’une génération. Bernard observe : "Les créatifs culturels sont des moteurs pour rendre opérationnel les monnaies complémentaires de type Yin".
Le Futur de la Monnaie
Dans son deuxième livre, Bernard Lietaer promet au lecteur une explication simple des rouages internes du système monétaire international avec des termes accessibles à tous. Au centre de sa réflexion, il y a 5 scénarios possibles pour l’évolution de la communauté globale :
1. Pas de changement
2. Le millénaire des entreprises
3. Les communautés prudentes
4. L’enfer sur terre
5. L’Abondance soutenable
Il prétend que le non-changement n’est pas possible sur la base des 4 "mega-tendances" de la communauté globale qui mène inévitablement à des changements majeurs :
1.La population vieillit. Comment la société pourra-t-elle lever assez de taxes pour procurer aux personnes âgées assez d’argent pour rencontrer leur longévité croissante ?
2.Les changements de climat exigent une économie capable de résoudre les conflits entre un développement durable et des intérêts financiers à court terme. Le système actuel en est incapable.
3.La révolution de l’information : comment pouvons-nous procurer des moyens de subsistance à des milliards de personnes supplémentaires alors que nos technologies rendent l’augmentation du chômage très probable ?
4.L’instabilité monétaire. Les crashs monétaires répétés ne sont pas des accidents du hasard mais les signes d’une dislocation du système monétaire officiel / comment se préparer à la possibilité d’une crise monétaire ?
En supprimant le premier scénario, nous pouvons faire des choix conscients entre les 4 autres.
Dans le scénario du ’millénaire des entreprises’, les multinationales prennent le pouvoir et continuent la globalisation économique. Plusieurs exemples montrent que c’est ce qui est en train de se passer en ce moment même et que cela va continuer à moins que de gros efforts conscients ne soient faits rapidement. Sinon, nous deviendrons tous prisonniers des intérêts des actionnaires principaux.
Le scénario des ’Communautés prudentes’ s’érige sur une théorie du gros crash/catastrophe naturelle et s’identifie au dire de Bernard à ce qui s’est passé en Europe dans les siècles qui ont suivi la chute de l’empire romain : la vie monastique. C’est une mise en garde de ce qui pourrait se passer si l’économie globale s’effondre. La vie sera très dure.
’L’enfer sur terre’ n’est certainement pas le scénario auquel nous rêvons. C’est une situation d’effondrement sans communauté viable pour prendre le relais. Dans un chapitre émouvant, il décrit comment ce scénario est déjà une réalité pour beaucoup de gens même à San Francisco où il vit. Il aurait aussi pu choisir d’aller à Mumbai ou Mexico où respectivement 16 et 20 millions d’habitants ont déjà subi cet l’effondrement ( soit 75% de ces population urbaines qui vivent déjà en « enfer »)
Le changement structurel est une opportunité sans précédent pour donner naissance à l’Abondance soutenable, ce qu’il conseille de manière convaincante. Il prétend qu’il est aujourd’hui possible de rendre le capitalisme soutenable par le biais de changements dans le système monétaire.
Ce qu’il faut, c’est développer des systèmes monétaires complémentaires. Depuis que Michael Linton a créé le premier LETS ( Local Exchange Trading System) en 1984 au Canada, de nombreux réseaux ont vu le jour un peu partout dans le monde ( banques du temps en .Italie, Tauschringe en Allemagne, time-dollar aux USA, SEL( Systèmes d’ Echange Local) en France, talent experiment, réseau de troc multiréciproque en Amerique du sud, etc.) Ils prennent des formes variées. Bernard illustre comment différents systèmes ont été créés pour résoudre les problèmes qui trouvent leurs origines dans les 4 mega-tendances. Ces informations sont très utiles pour ceux qui désirent créer des monnaies locales.
Rappelez-vous : elles sont abondantes, il n’y a pas de limitation aux richesses qu’elles peuvent créer, elles sont un support pour les communautés locales et pour les éco-villages, elles peuvent créer une infinité d’emplois et ont tendance à encourager les investissements à long terme.
Un exemple très intéressant (parmi beaucoup d’autres) est l’exemple de Curitiba où une monnaie complémentaire a permis à une ville brésilienne à se développer très rapidement en suivant une ligne écologique. Le rôle positif d’Internet est exploré également en termes clairs et lucides
L’ECONOMIE INTEGRALE : Economie Yin-Yang avec monnaie complémentaire
En parallèle avec les monnaies complémentaires, Bernard Lietaer suggère la création d’une monnaie de référence globale qui n’a de lien avec aucun état-nation et dont l’objectif principal est de servir de monnaie stable et fiable pour le commerce et les contrats internationaux. Il l’appelle "Terra" (terre en latin) parce qu’elle doit s’ancrer dans le monde physique. La Terra est définie comme un panier de produits et services et leur poids relatif devrait refléter leur importance dans le commerce global (ex : le pétrole, le blé, le cuivre, l’or). Cette monnaie devrait être résistante à l’inflation et être facilement traduisible en monnaies nationales. Cette monnaie améliorerait le développement durable et stabiliserait le commerce international.
Bernard conclut : "Une mutation post-industrielle est de toute façon à notre porte et je crois que le meilleur moyen de la gérer est de décentraliser et d’autoriser de manière consciente la créativité humaine à tous les niveaux. Les trois vagues vers l’Abondance Soutenable le permettraient. Les trois vagues sont : les changements de valeurs, la technologie de l’information et les monnaies complémentaires.
Carl Gustav Jung : "Les Chinois ont toujours reconnu les paradoxes et les polarités inhérents à ce qui est vivant. Les opposés s’équilibrent l’un l’autre - un signe de haute culture. L’unidimensionalité, bien qu’elle donne de l’élan, est une marque de barbarisme"
* L’emergence de créatifs culturels : enquête sur les acteurs d’un changement de société
de Ray et Anderson
Edition Yves Michel