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Compte-rendu d’un atelier organisé par SEL’idaire à l’occasion du premier forum social européen de Florence du 6 au 10 novembre 2002.

samedi 30 novembre 2002

Atelier : Systèmes D’Echange

En introduction, Patrick Viveret affirme : « Le droit de ne pas tout compter et le droit de compter autrement. » Il rappelle que l’expérience de la « Qualité » précède celle de la « Quantité ». On recourt à la « Quantité lorsqu’il y a conflit ou manque sur la « Qualité ». Or nous sommes dans une société malade de la « quantité ». Toujours selon P Viveret, l’échange quantifié apparaît dans un espace compris entre :
Un pôle d’amour et de confiance et un pôle de haine et de méfiance
Un pôle de désir et un pôle de non-désir.

Les participants des différents pays expliquent à leur tour ce qu’ils connaissent des Systèmes d’échanges de leur pays :

1/ Espagne :
Juan et Christina appartiennent à un LETS (Local Exchange Trading System : c’est la dénomination anglaise, qui est utilisée en Espagne)de la région de Gérone (Nord Catalogne). Il y a 3 LETS dans cette région.
Dans celui de la ville de Gérone, il y a environ 50 membres. Ce LETS est en lien (local commun)avec un réseau d’échange de savoirs (plus ancien que le LETS et comprenant environ 200 membres )et l’association Servas (réseau international)d’échange d’hébergement. De ces 3 LETS, le plus ancien a 5 ans, le plus récent 1 an et demi.
Il existe d’autres LETS en différentes régions d’Espagne (Madrid, Bilbao, Barcelone, Iles Canaries ) ; mais il existe peu de liens entre eux ; cela commence à se développer par le réseau Internet. La Notion de temps commence à être utilisée pour quantifier leurs échanges.

2/ Angleterre :
Peter North nous parle des LETS anglais mais aussi des LETS en Hongrie et des clubs de troc en Argentine. Les LETS existent depuis 10 ans en Angleterre. En 1992, suite à une crise financière majeure, il se crée environ 600 LETS.Mais après une période de démarrage enthousiaste, on constate une retombée.
Cas du LETS de Manchester (ville de 2 millions d’habitants) :
A partir d’un groupe de 40 personnes, on atteint 650 adhérents en 2 ans. Ce LETS se développe dans un milieu socioculturel assez particulier (écologistes, pacifistes, quakers : une culture de la marginalité ).
Mais il ne s’étend pas à d’autres milieux de population, en particulier, pas dans les quartiers pauvres où règne peur et méfiance.
Cause de la difficulté d’adhésion des exclus : peur de perdre les droits sociaux et déficit de capacité d’offres au sein du LETS.

Apparaissent plus tard, des systèmes d’échanges basés sur le temps comme monnaie d’échange. Ils sont en lien avec les institutions et reçoivent une participation financière de l’état. Les LETS sont plutôt en perte de vitesse alors que les banques du temps se développent. On dénombre aujourd’hui environ 200 LETS contre 450, il y a 2 ans. Il y a actuellement 96 banques du temps. LETS et Banque du temps tendent à être en concurrence :

- les banques du temps sont plus en lien avec les réalités économiques des exclus

- Les LETS sont plus dans l’engagement politique contestataire.

3/ En Hongrie :
Après la période stalinienne, il existe, dans ce pays, un grand désir de créer des espaces de confiance. Il existe actuellement, 7 LETS, le premier ayant été crée à Budapest essentiellement par des écologistes. Dans l’Est de la Hongrie, dans un petit village au mode de vie très ancestral, il s’est créé un LETS d’entraide entre 17 familles : ils ne veulent pas s’agrandir, de peur de perdre la confiance ; les échanges se font sans compter.

4/En Argentine :
Le cas de l’Argentine est évoqué rapidement. La faillite financière brutale du système, a produit un afflux massif de gens vers les clubs de troc (800.000 personnes ?) La plupart d’entre eux échange à l’aide d’une monnaie papier, les échanges se faisant essentiellement lors de marchés. Par la fabrication de faux billets, il s’est produit une inflation qui a conduit à la perte de confiance et entraîné la faillite d’une partie du système.. Seul les clubs de troc appartenant au réseau de troc solidaire ont pu survivre car ils s’étaient démarqué très tôt du réseau global de troc et accompagnaient leur pratique de l’échange de tout un programme d’alphabétisation économique, pour éviter de retomber dans la fétichisation de la monnaie paralllèle( croire qu’elle a une valeur intrinsèque alors qu’elle n’est qu’une mémoire de l’échange, qui permet de faire transiter sa réciprocité dans le temps et dans le groupe) Elle permet de dépasser le troc bilatéral en organisant les échanges dans une communauté

5/ En France :
Jean- Paul Dumas présente les Sels de France et leur association de liaison, SEL’idaire .Cette association est au service des SEL( Système d’échanges locaux) tente de faire circuler de l’information entre eux et de les mettre en relation avec des mouvements de sensibilité proche ou complémentaire ; elle essaie aussi d’organiser la lisibilité des pratiques séliennes en proposant des communications Mais elle ne peut en aucun cas s’engager au nom des SEL, elle n’est qu’un outil technique qui crée des liens et amplifie leur parole
Il existe environ 300 SEL en France, dont la taille varie entre quelques dizaines d’adhérents et plusieurs centaines ; le plus gros étant le SEL de Paris avec plus de 500 adhérents

6/En Italie :
les Banche del tempo( Banques du temps) : Les banques du temps fonctionnent en comptabilisant le temps que les personnes passent à se rendre service ou à transférer leur connaissance ou savoir-faire (par exemple, une heure de cours d’astronomie est égale à une heure de baby sitting et la personne qui offre le service se crédite alors que celle qui reçoit se débite d’une heure)
Les premières apparaissent dans les années 1997.
On peut distinguer deux tendances :
1/ volonté d’indépendance, d’autonomie à la base : cette tendance est la moins nombreuse mais elle tend à mieux perdurer.
2/ volonté de lien avec les institutions ; l’état ayant promulgué une loi, la loi 53, pour promouvoir et stimuler les banques du temps. Cette tendance a connu un essor important mais se trouve en perte de vitesse.

7/Au Brésil :
Chico Whitaker, cofondateur du forum social mondial, nous parle du premier club de troc, créé à Sao-Paulo en 1999,sur le modèle argentin. Il est riche d’une centaine de membres qui se retrouvent pour un marché convivial (repas pris en commun, musique …) une fois par semaine.Ce club de troc est animé par quelques personnes qui ont eu la volonté d’implanter ce Sel dans un quartier pauvre ;Une attention particulière est portée pour une solidarité avec les chômeurs.

8/ En Pologne :
Les 2 polonais présents nous explique que c’est un groupe de la mouvance écologiste et anarchiste qui essaye de développer des LETS dans la région de Cracovie (intervention dans des meetings, articles dans des journaux ). Le démarrage est difficile et peu de chômeurs participent bien que le chômage soit important dans cette région.

9/ En Hollande :( Pays où le chômage officiel est de 3 % )
Il existe 80 LETS dont celui d ’ Amsterdam avec 1200 adhérents.Ces LETS sont en relation avec les institutions avec lesquels ils négocient des contrats au sujet des impôts et de l’aide social.
Il s débattent de questions tels que :

- Comment échanger avec les entreprises ?

- Comment avoir de la qualité ?

- Que faire avec les « échangeur » occasionnels, accumulateurs, profiteurs ?

Et la conclusion est revenue à une coordination d’associations qui travaille à partir du rapport de Patrick Viveret sur les nouveaux indicateurs de richesse, le collectif Nouvelles Richesses : Henryane de Chaponnay parle de la quinzaine d’associations qui compose ce collectif et élargit le débat autour de la question essentielle qui conduirait à changer notre regard sur la richesse :

- comment mettre en perspective notre manière de compter ( mise en question des critères de comptabilité nationaux et des indicateurs) et notre manière de valoriser( entretien d’une rareté artificielle à cause du système monétaire international)
Pour reprendre le titre du documentaire( Who’s counting ?) sur la députée néo-zélandaise Marilyn Warring : la question est de savoir qui compte et qu’est ce qui compte vraiment ?

3 sites d’intérêt pour la rencontre :

- Les SEL français : Selidaire
www.selidaire.org
le site international du chantier monnaies sociales de l’alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire
http://money.socioeco.org
le site du collectif Nouvelles Richesses
www.place-publique.fr
rubrique : Reconsiderer la richesse


- Espace transversel interactif
http://transversel.apinc.org

Atelier : Reconsiderer l’argent : expériences monétaires alternatives en Europe

Les participants, issus des pays suivants : Espagne, Italie, France, Pologne, Hollande, Allemagne, se sont séparés en 2 ateliers

1) Margrit Kennedy, économiste allemande de Lebensgarten, anime un atelier sur la monnaie fondante( demurrage)

Le système monétaire international n’est pas durable : 97% de l’argent correspond à de l’argent spéculatif et seulement 3% correspond à de l’économie réelle avec une monnaie devenue la marchandise la plus rentable du système
A partir de l’exemple de la nature, dans laquelle toute chose s’arrête de croître tôt ou tard, elle compare notre système économique actuel à un cancer ; la logique actuelle du système qui exige une productivité et une rentabilité allant toujours crescendo, devrait aboutir à terme à la destruction de notre civilisation, comme le prolifération anarchique des cellules cancéreuses conduit à la mort de l’organisme. Elle pense qu’il est urgent de mettre en place d’autres systèmes monétaires qui pourront prendre le relais en cas d’effondrement du système monétaire principal. Elle pense que le niveau idéal est le niveau régional(le local est trop petit et le national trop grand).

De façon générale, elle nous démontre chiffres et tableaux à l’appui, que 40% d’intérêts rentrent dans le prix des produits que nous achetons :

- à chaque niveau, les entreprises répercutent le prix de l’intérêt sur leur clients immédiats.

- 80% de la population paie plus qu’elle ne reçoit

- 10% reçoivent beaucoup plus qu’ils ne pourraient jamais dépenser même en ayant plusieurs vies

Elle nous explique comment est constitué l’intérêt financier :

- La prestation de la banque coûte 1,7¨%

- L’assurance coûte 0,8%

- L’incitation à l’épargne (retour à l’épargnant) : 3à 4 %

- L’ajustement à l’inflation peut varier en moyenne entre 1, 5 et 3%

Dans la pratique des systèmes monétaires sans intérêts ( Interest free banking), la rémunération de la banque, l’assurance et l’ajustement à l’inflation restent les mêmes mais le retour vers l’épargnant disparaît.

Sous l’influence de Sylvio Gesell, à WÖRGL, en Autriche, une expérimentation de monnaie fondante a été menée ( en 1932/ 33). Chaque mois, l’argent local devait être tamponné pour continuer à avoir cours (1% du montant étant prélevé chaque mois) ce qui a créé un circuit local forcé : l’argent changeait de main 476 fois en moyenne par an.

Les conséquences de cette circulation monétaire forcée furent la diminution de 60% du chômage et l’augmentation de 35% du revenu des impôts, ce qui a permis à l’investissement public de croître d’autant

Margrit explique aussi qu’elle travaille actuellement à Berlin, pour mettre en place une monnaie communautaire sans intérêt : sur le principe de la relance keynésienne, une somme d’argent est donnée au départ, puis cet argent perd chaque année 6% de sa valeur, ce qui permet d’accélérer sa circulation et d’éviter sa stagnation. Pour éviter le gaspillage de l’énergie et l’augmentation des déchets, la communauté doit ensuite orienter l’usage de cet argent de telle sorte que ce ne soit pas la consommation qui augmente mais bien l’échange communautaire de liens et de services.

2) Le 2° atelier portait sur la libération de l’argent . Il était animé par Henk van Arkel, membre du LETS d’Amsterdam, participant actif du chantier Monnaies sociales de l’alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire.

Le chantier monnaies sociales fait partie du pôle socio économique de l’alliance . L’Alliance 21 est un réseau informel constitué de personnes, organisations et institutions. Elle est née dans le mouvement contre la globalisation et pour l’émergence d’une société civile mondiale. L’Alliance souhaite répondre à la nécessité d’articuler action et réflexion. Elle fonctionne par Chantiers qui sont des groupes internationaux de réflexion et de propositions sur les grandes questions de société. Le Pôle Socio-économique de l’Alliance en regroupe une vingtaine. Avec comme outil principal les forums électroniques, chaque chantier a donné naissance à un cahier de propositions et de rencontres physiques des acteurs.

Henk van Arkel part de l’idée que l’argent est kidnappé par le système néolibéral actuel et qu’il doit être libéré. En particulier, sa libre création doit être restituée aux citoyens et on devrait avoir autant d’argent qu’il y a de richesses créées. Au contraire, dans le système actuel il y a à la fois surproduction économique et rareté ùmonétaire.

Henk pense qu’il est important de relocaliser l’économie et la création monétaire et de créer des circuits courts qui permettent aux consommateurs de s’impliquer dans la chaîne de production / distribution.
En effet, il est plus facile, dans un territoire géographique réduit, de co-construire l’intérêt général en mettant ses intérêts immédiats en veille. Une telle stratégie coopérative « gagnants-gagnants » ( ou jeu à somme positive) permet de sortir de la logique économique guerrière actuelle, ou des parts de marché ne se prennent qu’au détriment d’autrui.

"Le choix qui consiste au nom du fétichisme monétaire, au motif qu’elles sont sans monnaie officielle, à interdire à des personnes de produire et d’échanger, est à la fois inhumain et irresponsable " avançait Patrick Viveret en écho, dans son rapport "Reconsidérer la richesse"
Henk expose plusieurs expérimentations qui ont lieu actuellement en Hollande, en Indonésie et au Brésil
Plusieurs systèmes ont été conçus avec les producteurs et les consommateurs, et permettent grâce à une mixité financière organisée( monnaie officielle et monnaie locale), de démultiplier les offres et les demandes.

- La monnaie officielle sert à se procurer matière première, machines, et aux autres investissements qui ne sont pas dans les possibilités du groupe.

- la monnaie locale sert à valoriser toutes les productions et échanges propres au groupe qui l’utilise.

le modèle des transnationales
En prenant le circuit monétaire des transnationales comme modèle, Henk présente le système élaboré avec les paysans sans terre du Brésil et par plusieurs communautés urbaines
Les transnationales ne font pas circuler de l’argent réel entre toutes leurs filiales mais utilisent un simple jeu d’écriture : un capital interne n’est converti que lorsqu’il sort du trust ; elles font ainsi d’importantes économies car nous avons vu que le coût de l’argent se répercute sur le coût du produit final ( les simples intérêts répercutés peuvent augmenter son prix de plus de 40%)

Henk invite les citoyens consom’acteurs à se regrouper pour construire des cercles de production et d’échanges sur ce modèle : il a lui-même contribué à lancer des multinationales citoyennes ( Citizens- Multi-National).

En Conclusion
Ces nouvelles formes de systèmes financiers participatifs accompagnent un besoin croissant de retrouver localement un pouvoir créateur et s’associent de plus en plus aux expressions de démocratie participative, en créant un outil d’intérêt collectif.

P.S.

Auteurs : Pascale Delille (SEL de Paris), André Miard (SEL de Petite Camargue), et Jean Luc Girard (Passerelle Eco et SELde Montpellier))